Les Pionniers de Belle-Ile sous Napoléon
Les origines du régiment des pionniers de Belle-Ile en Mer sous Napoléon
Replongeons-nous dans l’histoire de l’époque pour tenter de comprendre : 1813, on est proche de la fin du premier empire. Avec la Révolution, la France s’est trouvée en guerre quasi permanente de 1792 à 1815, et pour satisfaire à ses besoins en hommes, l’armée, à partir de 1791, a élargi progressivement son recrutement, jusqu’à l’instauration de la conscription par la loi Jourdan du 19 fructidor an VI (5 septembre 1798). Ces circonstances ont favorisé le développement de certaines catégories de délits militaires, à commencer par la désertion, et l’éclosion de nouvelles catégories, tels les réfractaires et les mutilés volontaires. Il s’agissait, pour tous les hommes qui s’en rendaient coupables, d’échapper au devoir que leur faisaient les lois de servir les armées de la patrie : les déserteurs abandonnaient leur unité, les réfractaires ne se donnaient même pas la peine de la rejoindre malgré l’obligation qui leur en avait été signifiée, tandis que les mutilés volontaires cherchaient à se faire dispenser en se provoquant un handicap physique sérieux. Cela pouvait être d’autant moins accepté que l’ampleur du phénomène grevait sérieusement les rangs des régiments et menaçait l’armée d’impuissance. Or, c’est en grande partie par ce mouvement et ces trois catégories de délinquants que sont apparus les premiers corps et établissements spécialisés dans la répression militaire interne. La volonté d’éloigner de la France les militaires considérés comme peu sûrs en raison de leurs antécédents, pondérée par celle de les employer malgré tout, apparaissait déjà, ainsi que le désir de faciliter leur contrôle en limitant le volume de leurs unités – choix du bataillon plutôt que du régiment. Auparavant, comme l’indique un arrêté du 17 brumaire an VII (7 novembre 1798), les déserteurs des armées étrangères étaient simplement transférés à l’île d’Aix (sur la côte atlantique, face à Rochefort) et de là, s’ils étaient reconnus Français, incorporés dans les demi-brigades d’infanterie. Le bataillon de dépôt des déserteurs français rentrés devait bientôt devenir bataillon « tout court », appellation officialisée par l’arrêté du 6 fructidor an XI (24 août 1803) reformant celui-ci après le départ de quatre de ses sept compagnies pour les îles des colonies. Ces dépôts pouvaient recevoir d’autres individus que des déserteurs français et des volontaires pour les colonies – mais ayant toujours eu maille à partir avec la loi, et de fait envoyés là par décision des préfets de police – et le séjour ne devait y être que transitoire, avant une affectation dans un corps régulier de l’armée. Alors que les soldats des dépôts, bientôt dits : coloniaux – volontaires, déserteurs et victimes des décisions des préfets mêlés – devaient quitter le pays par escouades de trente, le sort maritime de la France incitait le consul Bonaparte à prendre, le 28 thermidor an XI (16 août 1803), un arrêté organisant à Bergues (nord), aux îles Marcouff (côte est du Cotentin), à l’île Dieu (sic) et à Bellile (sic) quatre bataillons tirés des dépôts de Dunkerque, Le Havre, l’île de Rhé (sic) (près de Rochefort) et Blaye (près de Bordeaux), et Nantes enfin ; la force de chacune de ces unités devait s’élever à 525 hommes, officiers compris (art. 4), et les dépôts concernés être dissous (art. 8). En l’an XIII (1805) le bataillon des déserteurs français rentrés stationnait à Bergues, et l’état militaire de l’Empire français pour cette année signalait la présence des deux bataillons de déserteurs étrangers, l’un au Fort Impérial (à Cherbourg), l’autre à l’île d’Elbe (Italie), tandis que les bataillons coloniaux se trouvaient, le 1er – précédemment à Bergues – à Flessingue (port principal de l’île de Walcheren, en Batavie), le 2e aux îles Marcouff, le 3e à l’île de Ré (au lieu de l’île d’Yeu) et le 4e à Belle-Ile.
Les besoins croissants de Napoléon en soldats combattants le poussaient le 24 janvier 1811 à décréter la création de trois nouveaux régiments d’infanterie composés de réfractaires, destinés aux expéditions maritimes, à la garde des îles et à la protection des côtes, et qui prendraient le nom de leur lieu de garnison : le régiment de Walcheren, recevant les hommes du dépôt du Fort Lillo, le régiment de Belle-Ile, recevant ceux de Port-Louis, et le régiment de l’île de Ré (aux îles de Ré, Oléron et Aix), ceux de Saint-Martin-de-Ré (art. 2, 6, 7 et 8). Le 5 septembre 1809, le ministre avait prescrit la reformation des compagnies du 4e bataillon colonial par l’incorporation des conscrits réfractaires des départements de la 13e division militaire basée à Clermont-Ferrand qui comprenait une partie de Lyon ainsi que les départements de la Loire, la Haute Loire, le Cantal, le Puy de Dôme et l’Allier.
Le 21 mars 1811, une circulaire d’application d’un ordre impérial du 5 mars faisait diriger les conscrits réfractaires, les retardataires, ceux de mauvaise volonté – ayant cherché à se soustraire à leurs obligations – et les déserteurs sur les dépôts de réfractaires, pour être de là incorporés dans les régiments de la Méditerranée, de Walcheren, de Belle-Ile et de l’île de Ré.
Malgré le passage de déserteurs dans les unités de réfractaires, la source du recrutement des bataillons coloniaux ne semblait pas tarir puisque leur effectif était assez nombreux pour que deux décrets des 3 et 20 août 1811, créant et organisant quatre bataillons de pionniers coloniaux, à quatre compagnies de deux cents pionniers chacun, indiquent qu’ils tireraient leurs soldats parmi les « plus mauvais sujets » des précédents et les militaires des bataillons étrangers de Corse et de Walcheren auxquels on pouvait « le moins se fier » ; ces hommes n’auraient pas de fusil mais des outils de pionniers et seraient à la disposition du génie et des Ponts et Chaussées pour des travaux. En vérité, depuis quelque temps, Napoléon s’indignait qu’on armât les « coloniaux ».
Le 5 septembre 1809, le ministre avait prescrit la reformation des compagnies du 4e bataillon colonial par l’incorporation des conscrits réfractaires des départements de la 13e division militaire. Puis le 21 mars 1811, une circulaire d’application d’un ordre impérial du 5 mars faisait diriger les conscrits réfractaires, les retardataires, ceux de mauvaise volonté – ayant cherché à se soustraire à leurs obligations – et les déserteurs sur les dépôts de réfractaires, pour être de là incorporés dans les régiments de la Méditerranée, de Walcheren, de Belle-Ile et de l’île de Ré. Ces régiments « de réfractaires » étaient consacrés « comme des maisons de correction militaire », soumis à une discipline à part, comme les dépôts coloniaux, ce qui devait sans doute combler le déficit punitif dû à la réduction du temps passé dans les dépôts de conscrits réfractaires. Une conséquence de ces décrets était que les bataillons coloniaux devaient néanmoins subir une nouvelle réduction, à quatre compagnies de cent hommes – officiers et sous-officiers compris – chacun, soit moitié moins que les pionniers, ce qui fait apparaître un sérieux écrémage, même en tenant compte de l’apport des bataillons étrangers. Quant à la police et à la discipline, elles seraient celles des pionniers mutilés, ce qui renvoie en fait à celle définie par l’arrêté du 16 germinal an XII pour les dépôts coloniaux – autant dire une discipline renforcée. Dans les mois suivants, comme prévu, le 1er bataillon de pionniers fut organisé à Flessingue, le 2e en Corse, le 3e à l’île de Ré avant de passer quelques semaines plus tard au Château Ile d’Oléron, et le 4e à Belle-Ile-en-Mer, soit presque exactement aux mêmes endroits que les bataillons coloniaux dont les numéros correspondaient. Mais remarquons surtout que pour une même catégorie de soldats, deux degrés de gravité dans la punition s’instauraient : les fusiliers – c’était leur nom – des bataillons coloniaux étaient appelés à opérer militairement, tandis que leurs vilains camarades pionniers des bataillons de pionniers coloniaux ne feraient que travailler. Cette situation est particulièrement intéressante à retenir pour comprendre l’avenir des unités disciplinaires de l’armée française.