La famille Micolon

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Alexandre Micolon, un stéphanois devenu chef indien

Ce texte a été publié dans le numéro 68 du Bulletin des amis du Vieux Saint Etienne en 1967

Jean-Baptiste-Alexandre dit Alexandre Micolon[i] se place parmi ces pionniers solitaires, comme il y en eut tant dans la première moitié du XIXème siècle, qui quittèrent la terre natale pour se lancer à l'aventure dans les contrées sauvages du Far-West.

« Ses aventures paraissent si surprenantes, que si nous n'avions sous les yeux la lettre authentique de l'intéressé, nous pourrions croire qu'elles sont sorties de l'imagination d'un Gustave Aimard, l'auteur des « Trappeurs de l'Arkansas », contemporain d'Alexandre, qui vécut lui-même des aventures semblables.

Dans son récit qui comporte 24 pages d'écriture serrée, Alexandre ne dissimule ni ses fautes, ni les écarts de sa conduite qui le firent rejeter par sa famille. Sa lettre est une confession faite avec tout l'accent de la sincérité. Cependant, il faut se demander Si, dans certains épisodes qu'il relate, on ne doit pas faire une part à l'exagération. Son style est un peu ampoulé et imprégné de romantisme ; le texte, émaillé de citations latines, dénote un degré d'instruction assez poussé.

Le document nous fut transmis par un grand-oncle très âgé, qui avait bien connu ses frères, et avait recueilli de leur bouche quelques détails sur les débuts de notre héros. D'un caractère exalté et farouchement indépendant, il n'avait pu se plier à la discipline de la pension où, tout jeune, ses parents l'avaient mis, si bien qu'à 17 ans il s'évada du collège de Saint-Étienne, partit à l'aventure et ne reparut jamais.

Cette unique lettre, datée du 30 août 1857, était adressée à la sœur de sa mère, Marie-Félicité Fiat, religieuse à Valence. Elle parvint au moment où cette tante venait de mourir et fut transmise alors à son plus proche parent, le père de notre grand-oncle, qui la conserva.

Comme il serait trop long de transcrire le document dans son entier, nous allons retracer les principaux faits qui y sont relatés, sans nous attarder sur les détails infimes. »

« Jean-Baptiste-Alexandre Micolon naquit à Saint-Etienne le 10 mai 1821 ; il était le fils aîné naturel de Etienne Micolon et de Marie Fiat. Ses parents, en effet, n'étaient pas mariés lors de sa naissance et ne régularisèrent que plus tard leur union, aussi ne fut-il inscrit sur les registres de l'état civil, comme enfant légitime, qu'à la suite d'un jugement du 31 juillet 1837 ; le voilà donc déjà parti dans la vie un peu en marge de la société bourgeoise qui était celle de sa famille.

Nous avons vu qu'il s'était évadé du collège à 17 ans, donc vers 1838 ; or, il ne relate ses aventures qu'à partir de 1845. Que se passa-t-il pendant ces 7 années ? Il a négligé de nous en informer.

En mai 1845, il est à Paris. Après quelques mois, il part pour la Martinique comme capitaine en second « capable de guider un navire dans tous les parages ». De retour en France, il reçoit l'ordre de rejoindre un navire de guerre en partance pour le Sénégal. Est-ce déjà une mesure disciplinaire ?

Dans le bureau de Monsieur de La Gatinière, chef de la Marine marchande et commissaire général, qui lui transmet cet ordre, il refuse nettement d'obéir, ne voulant pas, écrit-il, « faire l'épreuve des fièvres de Gorée ».

Devant cet acte d'insubordination, il est appréhendé par deux gendarmes qui doivent le conduire en prison mais, doué d'une force et d'une adresse peu communes, il leur échappe et se dissimule dans les docks du port. A minuit, il s'embarque sur un navire américain qui accepte de le recevoir comme « officier de santé » chargé des soins de 700 passagers jusqu'à New York, où il arrive après 45 jours de traversée.

Jeté au port, sans argent, sans effets, il se met à porter des paquets pour vivre puis, à bout de ressources, il prend du service pour un an « comme officier » dans l'armée des volontaires américains, levée contre le Mexique.

Parlant très bien l'espagnol, il sert de guide à son corps, mais, pendant la campagne, pour avoir, nous dit-il, sauvé du pillage le couvent de Sancta-Maria, à Orizaba, il est condamné à être fusillé.

Il prouve alors que son engagement d'un an est terminé depuis 4 mois, et qu'il n'est point justiciable de la loi martiale ; néanmoins, une commission le dirige sur Veracruz pour y être jugé.

En route, il s'échappe, non sans avoir reçu une blessure à la tête, et va aussitôt s'engager dans le camp adverse comme capitaine de guérillas mexicaines.

En 1848, ayant fait quelques spéculations heureuses, il se trouve à la tête d'un capital de 40000 francs. Le gouvernement du Mexique cherchait un homme de courage pour pousser une découverte dans la Sonora et le Colorado ; il se met sur les rangs et est agréé.

Le 12 janvier 1848, il part à la tête de 500 cavaliers sous ses ordres. Il a près de 1000 lieues à faire dans une contrée désertique, aussi le découragement et l'indiscipline ne tardent-ils pas à se manifester parmi ses hommes ; il en fait fusiller 150. Enfin, il arrive au bord du fleuve Colorado le 4 mars 1848. Sa troupe ne compte plus que 60 hommes.

Ils sont dans un pays occupé par 60 000 Indiens Apaches, ennemis acharnés des Blancs. Un conseil de guerre se forme, et tous sont d'avis de rebrousser chemin. Lui seul veut poursuivre sa mission ; il traite les officiers et les hommes qui l'abandonnent de lâches et envoie un rapport à Mexico sur leur conduite ; 50 seront fusillés à leur retour.

Seul, avec son cheval et ses armes, il traverse le Colorado large d'un kilomètre et de courant rapide en cet endroit, et s'avance dans les terres du Nevada. Il parvient, au bout de 15 jours, dans une contrée où des pistes mal tracées servaient de routes aux caravanes qui venaient du Texas et de La Nouvelle-Orléans se dirigeant vers l'Ouest. Ayant campé et s'étant endormi, il est réveillé par les bruits et les cris d'une lutte. S'avançant avec précautions, il assiste, impuissant, à l'attaque d'un convoi d'une douzaine de chariots d'émigrants par un millier d'Indiens Apaches armés en guerre. Ne pouvant intervenir efficacement, il attend la fin du drame.

Au bout d'une heure, le massacre d'une soixantaine d'émigrants, hommes, femmes, enfants, était consommé. Après le départ des Indiens, qui emmènent leur butin, il ne peut que recueillir le dernier soupir d'un enfant mortellement blessé d'un coup de hache.

Il doit se défendre ensuite contre les coyotes qui, attirés par leur instinct, l'entourent de toutes parts ; il réussit à les mettre en fuite après en avoir abattu plus d'une douzaine.

Mesurant les difficultés qui l'attendent, il comprend qu'il ne pourra atteindre seul le but de son expédition, et décide de joindre San Francisco où le conduiront les pistes des caravanes, afin de rendre compte de sa mission.

S'étant endormi solitaire dans la pampa, il se réveille le 10 avril 1848 (il a noté la date) au milieu de 4 000 Indiens Apaches.

Le chef est devant lui et le voyant prêt à se défendre désespérément avec ses deux : pistolet, lui tend la main en lui disant « Amigo ». Toute la troupe l'entoure avec des manifestations d'amitié mais il est, en un clin d'œil, désarmé et dépouillé de tous ses vêtements. Furieux de cette traîtrise, il se couche à terre, ne voulant plus se relever. Un Indien qui s'approche pour l'inciter à se mettre debout, est empoigné par lui avec tant de force qu'il reste étendu au sol.

Le chef le fait saisir, attacher à un arbre, les bras en croix, et une volée de flèches vient se planter au contour de son corps. Voyant qu'il n'a pas bronché, bien que blessé au front, les Indiens jugent que l'épreuve a démontré son courage, ils lui rendent son cheval, ses armes, et l'obligent à les suivre pour l'Ougamiss où campe la tribu.

Il vécut avec eux pendant 7 mois, menant la vie des sauvages, combattant les tribus ennemies, chassant l'ours ou le bison, et obtint un tel ascendant sur les Apaches, qu'il réussit à les convertir à la religion chrétienne en les baptisant, « mais, note-t-il, ils se soumettaient à cette cérémonie en pensant qu'elle leur procurait un talisman contre la mort, et je dus cette conquête plus au bonheur de ne jamais être blessé dans les combats, qu'à ma persuasion d'évangélisateur ».

Ayant réussi à quitter le camp des Apaches, il parvient à San Francisco le 8 janvier 1849.

C'était alors la fièvre de l'or qui commençait à saisir la Californie. Ce qui avait été une possession espagnole florissante, occupée par des établissements religieux importants, n'était plus quand il y arriva qu'une localité insignifiante en pleine décadence.

Il prend un bateau en partance pour Mazatlán, port du Mexique sur le Pacifique ; en y arrivant, il apprend que le gouvernement dont il avait reçu mission ayant changé, celui qui le remplaçait avait renoncé à l'entreprise sur la Sonora.

A Mexico, il ne peut, malgré ses démarches, toucher les sommes promises pour son expédition. Changeant son fusil d'épaule, ayant réuni quelques fonds, il équipe un navire de 200 tonneaux, « La Mazatleka », chargé de vivres, bois et vins, à destination de la Californie, où il compte faire du commerce. Mais le sort est contre lui ; le 15 août 1849, il fait naufrage avec toute sa cargaison et réussit par miracle, à se sauver, ayant tout perdu dans cette équipée.

Embarqué comme capitaine en second sur la « Santa-Martha », capitaine espagnol, il touche de nouveau, mais complètement démuni, San Francisco qui se transforme déjà en ville nouvelle, et n'ayant rien en poche, part s'embaucher pour les mines d'or.

Au premier « placer » où il se dirige, il arrive à pied, sur les 2 heures de l'après-midi. La chaleur est si forte que ses pistolets à 6 coups partent d'eux-mêmes.

Partout des tentes de mineurs ; il observe en arrivant une agitation particulière et apprend que celle-ci est due à la mise à l'enchère d'une femme irlandaise dont le mari avait été assassiné. Il ne peut cacher son indignation et doit affronter la colère des enchérisseurs qui se disputent cette proie vivante à coups de piastres.

Le lendemain, il part à « Murphy Placer » où il fait un jour connaissance d'une Française, fourvoyée on ne sait comment dans un pareil lieu.

Elle s'appelle Marie N.…, ils tombent amoureux l'un de l'autre et ils s'épousent le 8 décembre 1849 « suivant les rites du pays », ce qui ne devait pas exiger beaucoup de formalités. Deux ans plus tard, seulement, ils reçoivent la bénédiction nuptiale au Mexique où ils se sont fixés.

Une épidémie de choléra atteint la ville où ils résident, lui-même est gravement touché, sa femme, en le soignant avec dévouement, contracte, elle aussi la maladie et meurt dans ses bras.

Inconsolable, le voilà reparti pour la Californie en 1854. Remontant vers le nord, il atteint le Lac Salé et tombe chez les Mormons. Ceux-ci le retiennent, veulent le convertir, lui proposant toutes sortes d'avantages pour en faire un de leurs adeptes, mais sans y réussir.

Il se dirige ensuite, seul, vers le Nord-Ouest, atteint l'Oregon, à la limite du Nevada et de l'Idaho, près de l'Owyé-River, et, un jour, au pied des montagnes Humboldt, ayant tué deux ours monstrueux, il est cerné par une bande de 25 guerriers indiens Serpents, conduits par leur chef : Lomahor-Lii.

Quoique résolu à mourir, il a un réflexe de défense et les charge avec tant de vigueur qu'il les met en fuite.

Mais le lendemain, ils reviennent à plus d’une centaine. De nouveau entouré, résigné à se laisser tuer, il prend une attitude impassible et leur parle dans leur idiome.

Etonnés et conquis par son courage tranquille, sa force et son adresse dont témoignent les dépouilles des deux ours abattus, le chef s'avance et lui offre d'une main la hache de guerre, de l’autre, le calumet de la paix.

Après avoir hésité un moment, il choisit le calumet tous les Indiens l'entourent, tirent une bouffée de la pipe, invoquent le grand Manitou, et chacun s'empresse de lui cogner le front en lui donnant une flèche en signe de grande considération.

Présenté au grand chef de la tribu Kate-Snake-Kii-Kalua, il est reçu comme un valeureux guerrier ; on lui fait don de peaux de bisons, d'arcs, de flèches, et on lui donne une case dans le village.

Définitivement accepté par les Indiens, le chef tient à le marier avec sa plus jeune fille, âgée de 12 ans, mais le souvenir de son épouse le hante et, s’il accepte de vivre avec la jeune fille, ce sera « comme un frère avec une sœur ».

La mort de Kate-Snake-Kii-Kalua, fait de lui le premier chef de la tribu ; il se fait appeler « Kalua-Fiat » du nom de sa mère qu'il a en grande vénération ; tous lui obéissent, se conforment aux rites de la religion chrétienne qu'il leur a imposés, et reçoivent l'ordre de protéger les missionnaires.

Lorsqu’Alexandre termine sa lettre, il explique qu'il a été empoisonné depuis 5 mois par un fruit vénéneux, le « Kita-Malo ». Il a reçu la lettre de sa tante par poste restante, à San Francisco, où sans doute il est connu, car elle lui est parvenue de station en station et pour la dernière étape, par un courrier indien. Il a cru d'abord qu'elle émanait de sa mère pour lui apporter son pardon, et découvre que, seule de sa famille, sa tante religieuse, qui le connaissait à peine, a pensé à lui dans son éloignement.

Aussi, pénétré de reconnaissance, lui répond-il sans tarder par cette longue missive dans laquelle il décrit les aventures qu'on vient de relater.

A la fin du récit, il ajoute en post-scriptum : « Si quelque missionnaire se trouvait pris par les Indiens, quels qu'ils soient, qu'il dise KALIA-FIAT ; toutes les tribus me connaissent, il ne lui sera fait aucun mal ; mais qu'on ne se recommande pas de moi auprès des Américains, je suis en guerre ouverte avec eux... »

Sans doute resta-t-il toujours pour les autorités U.S. un hors-la-loi. C'est ce qui explique que malgré plusieurs démarches effectuées par le Ministère des Affaires Etrangères, auprès des consulats de l'Oregon, nous n'avons pu retrouver sa trace. » (Francisque MICOLON)

 

[i] Bulletin des amis du Vieux Saint Etienne – 1967 – N°68


Date de création : 31/01/2021 14:22
Dernière modification : 31/01/2021 14:22
Catégorie : Archives Micolon
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